14 octobre : La Route de la Mer de l’Est

Beaucoup de nuagesTempérature moyenne

La météo l’annonçait la veille. Aujourd’hui, il fera encore nuageux dans la région voisine du mont Fuji. Ce matin, je serai encore dans les transports pour visiter une région très touristique à l’est du mont. Hakone est en effet très fréquentée le week-end et les jours fériés. Cela est dû à sa proximité avec Tokyo et Yokohama. Malgré la faible distance entre Kawaguchiko et Hakone, je suis contraint d’utiliser nombre de transports en commun pour arriver à destination. Il existe bien des bus touristiques avec correspondances mais le temps de trajet est équivalent voire plus long… Je retourne donc vers Tokyo en train pour repartir ensuite vers les montagnes sur la Route de la Mer de l’Est.

Fujisan Tokkyu

La route est plutôt longue d’un point à un autre et m’oblige à prendre beaucoup de trains. Je reprends le Fuji Tokkyu (富士特急), un train express vers Otsuki. Place ensuite aux trains de banlieue de Tokyo de Otsuki à Hachioji puis de Hachioji à Machida. Petite anecdote, étant sûr de moi je descends à une station sept minutes avant celle de Machida. Je crois que la fatigue est en cause et puis un mal de gorge léger m’endort un peu. J’attends donc le prochain train. Un retard d’une dizaine de minutes est annoncé pour cause d’accident corporel, entendez par là suicide en novlangue euphémiste. Cela me fait réfléchir sur deux choses en attendant l’arrivée du train.
D’abord, je pensais que les trains japonais étaient réputés très ponctuels et irréprochables (ce qui sera le cas tout le reste du voyage). Cet incident prouve que le système ferroviaire n’est pas maître de certaines causes, notamment humaines (suicide). Ce suicide était peut-être d’ailleurs celui d’un employé de la compagnie ferroviaire qui l’obligeait à des conditions de travail inavouables. Cela me pousse à penser que, comme en France, si des moyens (personnel, infrastructures, temps de travail réduit et optimisé) sont donnés aux services publics et aux transports, tout va pour le mieux et c’est un cercle vertueux car l’usager ressent bien une qualité de service derrière. Tout ça pour dire que comme ailleurs, les transports ne sont pas à l’abri d’ennuis et que le système ferroviaire japonais n’est pas forcément tout rose comme on peut le lire si souvent. Pour information, en ce qui concerne le train à grande vitesse japonais, le temps moyen de retard sur les années précédentes est d’environ 3 secondes ce qui est plutôt négligeable nonobstant les distances parcourues.
La cause de ce retard me rappelle un autre cliché si souvent lu ou entendu concernant le Japon : son taux de suicide. En effet, il est de 25 suicides pour 100 000 habitants… Pour comparaison, en France il est de 16 suicides pour le même total. Un petit calcul donne le nombre total de suicides par an dans les deux pays : environ 30000 au Japon et 10000 en France, rapportés sur la population de chaque pays (respectivement 127 millions et 60 millions). Si la France comptait 127 millions d’habitants, le nombre total de suicides serait donc de 22000 soit pas si loin que le Japon… La différence de 8000 suicidés peut probablement s’expliquer par le nombre d’heures travaillées au Japon qui est, selon un autre cliché argument, plus important que celui en France. La société japonaise n’est donc pas si différente et éloignée, sur certains aspects, que ce que l’on pourrait croire…

Wagon réservée aux dames

Suite à cette parenthèse, je poursuis ma route en prenant un autre train express : le Odakyu Tokkyu Hakone (小田急特急箱根), qui comme son nom l’indique est à destination de Hakone. Ce train est plus rapide que les autres et ne s’arrête qu’aux grandes gares, comme celle de Odawara, une grande ville de la préfecture de Kanagawa. C’est un train à la croisée entre un TER et un TGV en terme de vitesse et de confort. Dans la gare de Machida je tombe sur un train à l’arrêt qui d’après une indication est réservé totalement aux dames. J’en avais déjà entendu parler. C’est apparemment une mesure prise pour éviter les mains baladeuses aux heures de pointe.
Une fois arrivé à Hakone Yumoto (箱根湯元), il reste du chemin à parcourir ! Il me faut encore prendre un train qui escalade et fait des demi-tours à flanc de montagne, lentement vers Gora (強羅). Une fois là-bas, j’emprunte un autre moyen de transport pour prendre encore de l’altitude : le funiculaire, qui me transporte jusqu’à Sounzan (早雲山) – « la montagne des nuages rapides ». Ici, il faut changer une dernière fois de moyen de transport et monter dans un téléphérique pour atteindre la « grande vallée bouillonnante » Owakudani (大涌谷).

Fumerolles de Owakudani

Cette vallée de l’enfer à plus de 1000 mètres d’altitude est le résultat de l’éruption d’un volcan voisin il y a plus de 3000 ans. Le téléphérique par lequel je suis arrivé s’était déjà engagé dans les nuages. De ce paysage dantesque s’élève maintenant des fumerolles qui peuvent être nocives lors d’une trop grande exposition. L’odeur de souffre prend au nez et me restera dans les narines un bon moment dans la journée. Le Ministère de l’Environnement japonais a répertorié cette odeur particulière dans son top 100 des odeurs du Japon. La visibilité est mauvaise car les nuages sont bas. Je touche le plancher du ciel avant de faire demi-tour pour goûter une particularité du lieu : les œufs noirs kurotamago (黒卵). Ces œufs n’ont de noir que leur coquille, devenue ainsi après avoir été immergées dans des sources d’eau bouillante. Le paquet de 5 œufs est vendu pour 500 yens. Je n’en mange que deux histoire de ne pas avoir un mal de ventre pour le reste de la journée et donne le reste à une personne assise sur un banc. Sur la route vers le téléphérique il y a un stand où sont vendus des sembei (煎餅). Ces gâteaux de riz très salés sont accompagnés d’une algue nori (海苔) par laquelle on peut les tenir. Il y a comme un air de biscuit apéritif, de plus grande taille. J’avoue qu’il est passé plutôt moyen après l’américain le sandwich aux soba.

Œufs noircis de Owakudani

Lac Ashinoko

Rebelote, j’emprunte une fois de plus le téléphérique, pour retrouver la terre ferme quelques centaines de mètres plus bas près du lac Ashinoko (芦ノ湖). La brume est omniprésente et comme je pouvais m’y attendre le mont Fuji toujours aux abonnés absents. Le terminal du téléphérique débouche sur l’embarcadère pour une croisière sur le lac. Le prochain est dans une demi-heure. Comme pour la rivière Sumida à Tokyo, il y a différents types de bateaux, d’une autre époque cette fois-ci. J’ai de la chance, le prochain est justement celui sur lequel je voulais embarquer : le bateau pirate 🙂

À l'abordage !

Une précision avant de continuer… Hakone fait partie de l’ensemble du parc national de Fuji-Hakone-Izu (富士箱根伊豆国立公園) qui comme son nom l’indique englobe le mont Fuji, Hakone et ses alentours et la péninsule d’Izu, située plus au sud. De la même manière que Nikko, ce parc est très pratique de par sa proximité avec la mégalopole tokyoïte. Les touristes affluent donc le week-end et pendant les périodes de congé. Pour ma part, je ne verrai qu’une partie des alentours de Hakone et la traversée du lac me permet de me diriger vers l’un des vestiges de l’époque Edo : le Tokaido (東海道) ou « Route de la Mer de l’Est ». La traversée du lac n’a rien d’exceptionnelle, la brume masque tout. Hormis deux sanctuaires sur les abords du lac, rien n’est visible. Cependant, naviguer sur un énième type de transport en commun est plutôt intéressant. Il y a plein d’écoliers en voyage de classe et des étrangers. Les écoliers doivent remplir un formulaire et prennent des notes. Encore une fois j’ai le droit, tout comme le groupe de blondes voisin, à des « Hello, hello! » et à la séance photos. Moment amusant avant le débarquement à Hakone-machi (箱根町) après à peu près trois quarts d’heure de navigation pour parcourir les cinq kilomètres.

Point de passage de la route du Tokaido

Il est nécessaire de rappeler le contexte de l’époque pour comprendre le pourquoi du lieu où je rends maintenant. C’est un ancien point de passage de la route du Tokaido qui a réouvert en 2007 après avoir été reconstruit suite à sa fermeture il y a plus de 150 ans. Pendant l’époque Edo (江戸時代) qui s’étale de 1603 à 1868, le vrai pouvoir appartenait aux shoguns de la famille Tokugawa installés à Tokyo, alors nommée Edo, bien que l’Empereur résidait toujours à Kyoto. Son rôle n’était que mineur. En 1635, le shogun de l’époque institutionnalisa une politique de rotation entre le fief de ses vassaux et Tokyo où il résidait. Cela était réfléchi de manière à avoir toujours la mainmise sur les daimyo (大名), vassaux, qui devaient régulièrement venir demeurer à Tokyo près du shogun. Ce système permis de concentrer et solidifier le pouvoir autour de ce dernier.
Les shoguns renforcèrent au fur et à mesure les routes reliant les différents fiefs ou han (藩) à Edo. Ces cinq routes comprenaient celle dont je vais parler maintenant, qui est la route la plus connue reliant Kyoto à Edo. Cette route longe le littoral sur près de 500 kms à travers bois et montagnes. 53 points d’arrêt parsemaient le chemin. Hakone est la dixième station. Elle comprenait un poste de police shogunale qui contrôlait scrupuleusement qui passait par là. Ce poste a été reconstitué pour rappeler aux touristes l’histoire de cette route célèbre.

Reconstitution de fonctionnaires du poste

La barrière de Hakone ou Hakone-sekisho (箱根関所) a été installée en 1619 comme un point de contrôle. Sa fermeture a eu lieu avec la fin du shogunat qui marqua le début de l’ère Meiji. Celui-ci est considéré comme le plus grand et le plus important. Les personnes qui travaillaient là étaient chargées de contrôler minutieusement les armes qui entraient dans Edo. Ce passage était également réputé pour empêcher les femmes de s’échapper d’Edo. Les officiels de ce lieu ont été reconstitués sous la forme de statues. S’y trouvent également des statues des femmes officiellement habilitées à fouiller les dames qui passaient par là. Le design et la couleur de leurs vêtements ne sont pas connus. Ainsi, les mannequins ont été peints dans des couleurs pâles. Avant la reconstruction, des excavations ont été menées et des restes ont confirmé l’emplacement du lieu. Les bâtiments ont été reconstruits avec des techniques traditionnelles. Un ancien journal de ce point de passage a servi de référence pour restaurer des fournitures et des armes qui existaient là à l’époque. Il est possible de monter un petit monticule pour rejoindre la tour de guet avec une bonne vue sur le lac et sur le mont Fuji . Grosso modo l’ensemble est composé de la porte qui mène à Kyoto (côté entrée) et de celle qui mène à Edo. Il y a également la salle des gardes, un stand de tir, les quartiers des soldats à pied ashigaru (足軽) et une prison. En sortant par la porte de Kyoto, j’emprunte le chemin qui mène à la salle d’expositions du point de contrôle. Ici, différents documents sont regroupés, tels que les journaux des officiels de l’époque ou encore des armes. Une boutique vend des produits culturels et des souvenirs.

Non loin de là, il y a l’allée des cèdres, une partie de la route du Tokaido, qui a été également reconstituée. Je ne m’y rends pas par manque de temps, croyant encore pouvoir utiliser le bateau ou le ferry pour rentrer. En réalité il est 16h30 et plus aucun bateau ne part vers Togendai où se trouve mon logement. Je me résigne donc à prendre deux bus qui font pas mal de détours avant d’arriver à destination et trouver le bon logement. Il s’agit d’un ryokan (旅館), une auberge avec des chambres japonaises. Il semble qu’il y ait peu de chambres, le service est parfait et on me réserve un bon accueil. Le dîner est servi à 19h. Je descends au restaurant pile poil à l’heure. J’ai les crocs et le repas qui m’attend est une fois de plus très consistant. J’ai droit aux explications du serveur pour chaque plat. Malheureusement, je ne note pas en détail et ne prends pas photo le menu… Grossière erreur ! Il y avait beaucoup d’aliments parmi lesquels du riz et de la soupe bien sûr. Le plat principal était du shabushabu (しゃぶしゃぶ) qui est un plat composé de tranches de bœuf et de légumes à tremper soit même dans l’eau bouillante. Le serveur apporte une marmite et un réchaud pour ce faire. Après ce repas excellent je vais noter mon nom sur l’ordre de passage dans le onsen. Il faut s’inscrire. Je passe à 22h30 après deux gars belges qui sont là en vacances. Trois jours après le dernier, j’ai encore le droit à une demi-heure dans ce onsen privé qui me détend avant mon départ pour Kyoto demain.

Vous pouvez consulter les photos de cette journée. Les photos des autres journées sont également disponibles. Elles apportent un supplément visuel à chaque article. Chacune est localisée et comporte une légende. N’hésitez donc pas à y laisser vos commentaires ou questions !

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