Le syndrome de la page blanche semble me poursuivre depuis des mois. Je n’ai pas écrit depuis 6 mois (le 30 juillet 2013). C’était pour parler de l’autre gauche japonaise. Pourtant ce ne sont pas les sujets qui manquent même si finalement le fil rouge de ce blog est bel et bien de conter les récits de mes voyages au Japon. J’aurai l’occasion d’y revenir très bientôt, sans doute en mars car le mois de février sera consacré à raconter un autre voyage, celui d’une camarade du Parti de Gauche qui s’envole pour un mois au pays du soleil levant. Pour reprendre l’écriture, je me suis dit qu’il serait approprié de parler d’un film d’animation et en l’occurrence pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du dernier long-métrage de Hayao Miyazaki nommé « Le vent se lève » (風立ちぬ – Kaze Tachinu en japonais). J’ai déjà eu l’occasion de parler animation sur ce blog avec par exemple la critique du très beau « Lettre à Momo » sorti l’année dernière et qui d’ailleurs sort en Bluray dans les jours qui suivent. J’y ai déjà également abordé Ghibli mais pas l’une des oeuvres de Miyazaki puisqu’il s’agissait alors d’annoncer la sortie de « Arrietty » il y a quelques années.
Hayao Miyazaki nous l’avait déjà faite, plusieurs fois ces films étaient censés être les derniers, et ce pour différentes raisons à chaque fois. Le prédécesseur de « Le vent se lève » est sorti à l’été 2008 au Japon et en janvier 2009 en France. Il s’agissait de « Ponyo », une sorte de fable contemporaine rappelant à certains égards le conte « La petite sirène » d’Andersen. Un premier visionnage de ce film au cinéma m’avait laissé sur ma faim. Peut-être que les critiques d’alors m’avaient induis en erreur (« trop enfantin », « dessin particulier au pastel »…). Finalement « Ponyo » est repassé il y a quelques jours sur ARTE et j’en ai profité pour le revoir, de manière décomplexée, sans a priori, ayant pris du recul depuis, et avant d’aller voir « Le vent se lève ». Et cette fois-ci je n’ai pas eu les mêmes sensations en le regardant. Le dessin est vraiment particulier et agréable aux yeux. Plus que la première fois j’ai aimé la coupure ou plutôt le lien entre le monde réel et le monde imaginaire. L’évolution par laquelle « Ponyo » réussit à (re)gagner son humanité illustre la recherche quotidienne de chacun-e d’entre nous de la vérité, de notre raison d’être.
Après avoir vu la bande annonce de « Le vent se lève » et lu quelques critiques avant d’aller le voir au cinéma, il était évident que ce nouveau film était radicalement différent du dernier, voire de tous les précédents. Il est vrai que chaque long-métrage de Miyazaki est bien original et unique mais j’ai eu la confirmation après l’avoir vu que « Le vent se lève » est vraiment hors catégorie, à part. J’ai pu lire ça et là qu’il s’agissait du « testament » de Miyazaki comme si il s’agissait d’un mot-clé à faire passer dans tous les articles pour décrire ce film. Pour ma part je n’ai pas ressenti cela bien qu’il est évident que l’aviation soit l’une des passions de l’auteur et que l’enfance de celui-ci a été directement marqué par la production d’avion dans les années 40 puisque son père travaillait dans l’usine qui produisait les fameux modèles « Zéro ».
Il est possible de retrouver aisément plusieurs thèmes souvent abordés dans les films de Miyazaki. D’abord bien entendu l’aviation, l’air, les avions. Ce thème n’avait pas été abordé autant depuis Porco Rosso en 1992. Cette fois-ci il l’est d’une autre façon puisqu’il s’agit non pas de poser la réflexion sur le pilote mais sur le créateur. D’ailleurs le personnage choisit par Miyazaki est Jirô Horikoshi (堀越二郎). C’est le créateur de l’avion de combat « Mitsubishi A6M Zero« . Celui-ci a vécu de 1903 à 1982. D’ailleurs une scène du film se déroule pendant le grand tremblement de terre du Kantô de 1923 qui a dévasté une grande partie de Tokyo sur le coup et après coup avec les incendies. Tout le film tourne autour de ce personnage historique ayant réellement existé. C’est bien la première et sans doute la dernière fois que Miyazaki fait de l’une de ses oeuvres, une biographie. C’est dire combien l’homme inventeur a eu une influence sur l’homme réalisateur. Le personnage y est dépeint dans son enfance et dans les premières années de sa carrière d’ingénieur. Le titre du film a d’ailleurs été judicieusement choisi. Il s’agit de vers du poème « Le cimetière marin » du français Paul Valéry : « Le vent se lève. Il faut tenter de vivre ». Cette réplique est d’ailleurs dite plusieurs fois dans le film en français dans le… son en version originale japonaise ! L’enfance est également l’un des thèmes importants des films de Miyazaki. Le spectateur y voit dans « Le vent se lève » le jeune Horikoshi qui semble déjà fasciné par les airs et la technique. Comme dans un rêve éveillé.
Justement le film commence par un rêve et se termine, logiquement, par un rêve comme pour boucler la boucle. Ce thème des rêves pourrait être relié à un autre thème cher à Miyazaki, en tout cas récurrent dans ses oeuvres : la frontière entre le monde réel et le monde imaginaire. Ici elle est franchie par le passage entre le rêve et la réalité du personnage, et ce, plusieurs fois dans le film (au début, à la fin, entre deux). Parfois la transition entre les scènes fait que l’on ne sait pas immédiatement si il s’agit d’un rêve ou de la réalité. Le personnage qui donne la réplique à Jirô Hirokoshi dans le film est lui même un créateur d’avions, italien. Il s’agit de Giovanni Caproni (1886-1957) qui a créé des avions utilisés par la flotte italienne pendant la première guerre mondiale. Certains modèles apparaissent d’ailleurs dans les rêves pendant le film. J’ai eu l’impression que Caproni est à Hirokoshi ce que Hirokoshi représente précisément aux yeux de Miyazaki : son inspiration. Tout au long du film Caproni est littéralement le moteur de l’inspiration et de l’envie de créer de Hirokoshi, un peu comme un mentor, un exemple à suivre dans le processus de création.
Ce que j’ai apprécié dans ce film est bien ce positionnement de Miyazaki par rapport à l’objet que représente l’avion. Un objet tout d’abord synonyme de « liberté », liberté de se déplacer, d’explorer les airs : un thème très cher au réalisateur. Finalement l’histoire de ce film peut se résumer à cela : raconter une partie de la vie d’un créateur ayant vraiment vécu. Pas de magie ici. La part de magie se retrouve en fait dans le rêve qui se confond avec une réalité qui pourrait être instrumentalisée. Le film a d’ailleurs reçu des critiques au Japon. Miyazaki était déjà connu pour ses prises de position progressistes et féministes. Il a confirmé ses opinions pacifiques par ce film. C’est pourquoi il a reçu des critiques d’une part de certains nationalistes de son propre pays, voyant par ce film un anti-patriotisme. En effet, au moins à deux reprises dans le film Hirokoshi déclare vouloir ne créer que de beaux objets, les avions, mais également s’inquiéter de l’utilisation abusive de ceux-ci (pour la guerre évidemment). C’est cela qui a été critiqué, encore une fois à tort selon moi, dans certains pays asiatiques ayant subi la colonisation japonaise pendant la première partie du XXème siècle.
Finalement, le thème du générique de fin est une chanson datant de 1973. J’ai rarement entendu une chanson japonaise aussi belle. « Hikôkigumo » (飛行機雲) est interprétée par Yumi Matsutoya. Ce mot signifie vapeur d’avion ou trace d’avion. Elle porte donc bien son nom pour illustrer le film, voire pour le clore. Je conseille à tou-te-s d’aller voir ce film, quelles que soient les critiques, même si certain-e-s semblent déçu-e-s par le manque d’action. Pour moi cet ultime film de Miyazaki n’est sûrement pas un testament. Il est très japonais, très introspectif et personnel, d’où la difficulté sans doute de pouvoir l’apprécier en comprenant la démarche de son réalisateur. Le film est toujours en projection sur Lille en VOSTF, notamment à l’UGC de Lille. Il est également visible en VF à l’UGC de Villeneuve d’Ascq mais je recommande évidemment de le voir dans la langue de Mishima ! Sachez également que plusieurs revues ont consacré des dossiers au film : un hors-série des Inrocks consacré à « Hayao Miyazaki et les maîtres de l’animation japonaise » et le numéro de janvier 2014 des cahiers du cinéma. Bon vent !
Pour ma part, j’ai été très déçu par ce film. J’y attendais une sorte de prolongement de Porco Rosso. On y retrouve, certes, les thématiques de son premier long métrage (aviation / contexte historique / histoire d’amour / onirisme ). Mais l’accent est surtout mis sur une illustration amoureuse du vers de Valery.
Tu dis que le protagoniste s’inquiète de l’application guerrière de ses avions. Je trouve au contraire qu’il relègue vite cela au rayon du sacrifice sur l’autel du Bel Ouvrage. Pourtant, on sent que Miyazaki n’est pas insensible au contexte historique dans lequel il place son histoire. Quelques scènes et personnages en témoignent (scène de poursuite en Allemagne, évocation de la police politique ou personnage rencontré à l’hôtel ). Mais Jiro, son personnage principal fait largement abstraction de son rôle dans la course à l’armement.
Contrairement à l’époque de son enfance et de son adolescence où il se pose tantôt en redresseur de torts (scène de bagarre d’enfant), tantôt en sauveur (scène de l’après-tremblement de terre), Jiro semble avoir évolué pour ne trouver l’absolu que dans ses rêves. À l’inverse, sa petite sœur du personnage principal semble prendre à contrepied l’idéal de son grand frère. Son personnage déborde de vie. Une vie qu’elle tente de d’ailleurs de prolonger et de préserver de par son orientation professionnelle.
Miyazaki aime-t-il son personnage principal ? J’ai l’impression que oui, et c’est ça qui me dérange. Une scène laisse pourtant supposer le contraire : le retour à la réalité, au travers d’une vision où l’ingénieur aéronautique italien idéalisé se pose en censeur de photographe, montre que le réalisateur de ce film n’est pas dupe sur la situation. J’ai espéré que le film prenait à ce moment-là un autre tournant, s’orientant sur la thématique des illusions perdues. Mais aucune prise de conscience ne suit. Le pire se trouve à la fin du film, où aucune déception ne se lit sur le visage du personnage au moment ou ses joujous se ramassent à la pelle sur le champ de guerre. Quelle sera la réaction du héros par rapport aux pratiques kamikazes. Faudra-t-il encore et toujours tenter de vivre tout en laissant le reste de l’humanité sombrer.
Là où Porco Rosso illustrait l’impossible promiscuité du héros mythique, (et donc l’impossible amour qui en découlait), Jiro semble prendre le contrepied en incarnant l’égoïsme humain tant sur le plan historique qu’amoureux.
Enfin, je regrette surtout que Miyazaki n’interroge pas la forme de son œuvre (le film d’animation japonais) comme il avait réussi à le faire pour Porco Rosso avec son personnage aux traits de cochon et sa bagarre burlesque de fin. Il ne réussit pas à donner la transcendance qui avait marqué son premier opus, et ça manque réellement pour un film testament.
Merci pour ta belle analyse, que je partage en partie à travers mon article.
Tu as raison ce film est très poétique mais il ne fallait pas s’attendre à y voir une suite de Porco Rosso. Ce projet est d’ailleurs souvent évoqué sur la toile comme éventuel long-métrage du studio Ghibli.
Hormis le thème historique et celui de l’aviation je ne pense pas que Miyazaki voulait lier les deux films (Porco Rosso et Le vent se lève) mais simplement présenter un personnage qu’il appréciait et qui a fait sa carrière de concepteur d’avion dans une période malheureuse de l’histoire japonais (l’expansionnisme de 1930-1945).