Le peuple japonais a été invité pour la deuxième fois en moins d’un an à se rendre aux urnes en cette fin juillet. Les débats de fond auront hélas une fois de plus été complètement zappés notamment la question du nucléaire qui semble avoir été complètement occulté comme le déplore le philosophe Yoichi Funabashi dans un article du 3 juillet du journal Mainichi Shimbun (traduit par le Courrier International le 18 juillet). Lors des dernières élections législatives de décembre 2012 déjà – où le Parti Libéral Démocrate avait gagné la majorité des sièges et où Abe Shinzô est devenu premier ministre pour la deuxième fois – le sujet du nucléaire et des réfugiés du Tôhoku avait été à peine effleuré.
Résultats des élections sénatoriales japonaises du 21 juillet 2013 : 自由民主党 (Parti Libéral Démocrate), 公明党 (Nouveau Komeitô), 民主党 (Parti Démocrate du Japon), みんなの党 (Votre Parti), 日本共産党 (Parti Communiste Japonais), 日本維新の会 (Association pour la restauration du Japon), 生活の党 (Parti de la Vie du Peuple), 新党改革 (Nouveau Parti de la Réforme), 沖縄社会大衆党 (Parti Socialiste des Masses de Okinawa) et 無所属 (Sans étiquette).
C’est donc une fois de plus le Parti Libéral Démocrate du premier ministre qui remporte largement le scrutin des élections sénatoriales ayant eu lieu ce dimanche 21 juillet. Il obtient ainsi la majorité absolue dans les deux chambres du Parlement japonais (115 sièges sur 242) avec ses alliés du nouveau Kômeitô (20 sièges sur 242). Son parti détenait déjà la majorité à l’Assemblée nationale depuis décembre alors que l’opposition était majoritaire au Sénat. Cette situation de cohabitation était appelée au Japon « parlement tordu (ou vissé) » (ねじれ国会 – nejire kokkai) pour illustrer l’idée qu’un parti (le Parti Libéral Démocrate) allait dans un sens et qu’un autre (le Parti Démocrate du Japon) allait dans l’autre, ce qui donnait de manière imagée une vis. Il en est tout autrement puisqu’en fait les deux partis sont pour un libéralisme économique décomplexée. Le premier ministre base sa politique économique sur des mesures paradoxalement keynésiennes contre la déflation notamment en ayant annoncé au début de l’année un grand plan de relance de l’économie et une augmentation des dépenses publiques à hauteur de 2 % du PIB. Les médias désignent depuis quelques mois cette politique économique par le terme de Abenomics (アベノミックス – abenomikkusu) une contraction entre le mot Abe et le mot anglais economics. Récemment même les médias français s’en sont emparés et le terme se diffuse. Ces mesures économiques seront financées notamment par l’augmentation de la taxe sur la consommation, qui doublera d’ici 2015 pour passer de 5 à 10 %. Pour rappel, les sociaux-démocrates s’étaient engagés à la tenue d’élections législatives anticipées l’an passé – suite à la démission du premier ministre du Parti Démocrate du Japon de l’époque – si le Parti Libéral Démocrate votait avec eux cette loi d’augmentation injuste pour la majorité des ménages. La politique de Abe reste conservatrice et ordolibérale puisque celui-ci a engagé le Japon dans les négociations pour participer au pacte trans-pacifique (TPP) qui désavantagera clairement les producteurs japonais et plus globalement mettra en compétition les travailleuses et travailleurs étatsuniens et japonais. D’autre part, le premier ministre a annoncé qu’il militerait en faveur du redémarrage rapide des réacteurs nucléaires à l’arrêt au nom d’une soi-disant auto-suffisance énergétique. Entre la bougie et le nucléaire, qu’est-ce qu’il y a ? L’intelligence !
Le Parti Communiste Japonais a été présent sur de nombreuses batailles progressives :
- combat contre la participation au pacte trans-pacifique (dont la médiatisation est bien plus important que celle du pacte trans-atlantique en France que les médias n’ont qu’effleuré en focalisant leur sujet sur la « victoire » de l’exception culturelle)
- lutte contre le nucléaire sous toutes ses formes (civil et militaire) en participant à chaque manifestation antinucléaire tous les vendredis* devant l’Assemblée nationale et devant la résidence du premier ministre, en ne cessant de réclamer le non-redémarrage des réacteurs, l’arrêt de l’importation de matière nucléaire depuis les pays étrangers (comme l’importation de MOX depuis Cherbourg en France ces dernières semaines), l’arrêt des constructions des nouvelles structures destinées à produire et retraiter du nucléaire…
- la reconnaissance de la mort subite au travail dite karôshi (過労死) comme maladie du travail avec dédommagement des familles des victimes et pour l’amélioration des conditions de travail des travailleuses et travailleurs
* J’ai d’ailleurs eu l’occasion de participer à la manifestation du vendredi 24 mai lors de mon deuxième voyage au Japon. Malheureusement je n’y ai pas croisé Yoshiko Kira avec qui j’avais pourtant pris rendez-vous. Pour l’anecdote je pensais me trouver devant la résidence du premier ministre mais je me situais en fait en face de l’Assemblée nationale ! Le lendemain (samedi) je me suis rendu au siège du Parti Communiste Japonais situé dans le quartier de Yoyogi à Tokyo. Le bâtiment était fermé mais il y avait un accueil dans celui d’à côté qui appartient à l’organe papier du parti (le Akahata ou « drapeau rouge »). Kimitoshi Morihara l’un des représentants du secteur international m’a accordé un entretien pendant lequel j’ai pu lui remettre le manifeste pour l’écosocialisme traduit en japonais par mes soins quelques semaines plus tôt.
L’implication des camarades communistes au Japon leur aura permis de doubler leur nombre de sénatrices/sénateurs en passant de 6 à 11 représentant-e-s. Malgré l’abstention cela représente 5 645 937 voix soit 10,64 % des exprimé-e-s. Le nombre de voix est supérieure aux 4 millions exprimées pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 ! Autant dire que cela illustre une progression radicale et concrète du Parti Communiste Japonais sans aucun doute liée à la perte de terrain de plus en plus flagrante des citoyen-ne-s sur le terrain politique et sur la souveraineté qui devrait leur revenir. Les communistes ont d’ailleurs doublé également leurs nombres de sièges au sein de la municipalité de Tokyo en passant de 8 à 17 représentant-e-s sur 127 et devient ainsi le troisième parti de la capitale devant le Parti de la Restauration du Japon qui se targuait il y a quelques mois d’être le troisième pôle du paysage politique japonais… Le Parti Communiste Japonais devient ainsi le principal et le seul parti d’opposition puisque cela fait longtemps que le Parti Démocrate du Japon s’est « droitisé ». Cela se ressent d’ailleurs puisque ce dernier a perdu 27 sièges lors de ces élections sénatoriales. Décidément, la stratégie sociale-démocrate qui consiste à s’aligner sur le libéralisme économique prôné par les ayatollahs du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale sans prendre en considération les aspirations sociales du peuple n’est qu’un échec total comme c’est le cas en Grèce, en Espagne ou encore en Italie où la soi-disant « gauche » s’avère n’être en réalité que la droite complexée.
Finalement, je souhaite ici féliciter au nom du Parti de Gauche les camarades du Parti Communiste Japonais ainsi que les sénatrices et sénateurs nouvellement élu-e-s pour celui-ci le 21 juillet dernier ! 最終的に、フランスの左翼党(Le Parti de Gauche)の皆さんの声を挙げて、こちらで日本共産党員の仲間たちと7月21日に当選された新しい参議院議員に心を込めて感謝します。おめでとうございます!